UNION DEPARTEMENTALE CFTC DES HAUTS DE SEINE


61, Jardins Boieldieu, 92800 Puteaux La Défense 8
Tél : 09 81 42 02 77 - Fax: 01 47 75 24 55
Parking : Boieldieu (rouge) - RER A La Défense - Ligne 1 - T2

Adresse mél : contact@cftc92.fr - Site web : cftc-ud92@blogspot.com

Articles les plus consultés

A la une

FORUM : LES ORDONNANCES MACRON ET LEUR APPLICATION PRATIQUE - JEUDI 18 JANVIER 2018

L'union Régionale Île de France CFTC, en collaboration avec les Unions Départementales organise un forum le  JEUDI 18 JANVIER 2018,...

Ne vous trompez pas de syndicat

M. le président Alain Gest. Nous continuons l’audition des syndicats de l’entreprise Goodyear. Les semaines passées, nous avons auditionné la secrétaire du comité centrale d’entreprise (CCE) et les représentants CGT et SUD de l’usine d’Amiens-Nord. Aujourd’hui, nous recevons M. Philippe Théveniaud, président de la section CFTC de Picardie, délégué CFTC de l’usine Dunlop d’Amiens-Sud, et M. Thierry Récoupé, secrétaire du comité d’entreprise de l’usine Dunlop d’Amiens-Sud, délégué CFTC.
Messieurs, soyez les bienvenus.
Cette audition est ouverte à la presse écrite et audiovisuelle. Comme nous nous efforçons de le faire chaque fois que cela est possible, notre réunion est retransmise en direct et en téléchargement, tant sur le canal interne que sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale.
Un compte rendu de nos débats sera établi dans les jours qui suivent notre réunion. Il vous sera soumis, messieurs, pour vous assurer qu’il correspond exactement aux propos que vous aurez tenus, puis il sera publié sur le site Internet de l’Assemblée nationale.
Conformément à nos habitudes de travail, je vous donnerai d’abord la parole pour un exposé introductif d’une vingtaine de minutes. Ensuite, notre rapporteure, Mme Pascale Boistard, pourra poser une première série de questions. Enfin, les autres membres de la commission d’enquête interviendront pour un débat approfondi.
La CFTC est le syndicat majoritaire sur le site Goodyear d’Amiens-Sud. Historiquement, ce site est une usine de la marque Dunlop, intégrée ensuite dans le groupe Goodyear. L’audition d’aujourd’hui vous permettra, messieurs, de nous présenter la situation dans cette usine.
Nous sommes particulièrement intéressés par la présentation que vous allez nous faire du passage aux équipes en 4x8 en 2008. Comment expliquez-vous que les salariés de l’usine Goodyear d’Amiens-Sud l’ont accepté, alors que ceux de l’usine d’Amiens-Nord l’ont refusé ?
Pourriez-vous dresser un bilan, après cinq ans d’application, de ce changement d’organisation du travail – en termes d’emplois, de rémunérations, de conditions de travail, etc. –, que d’autres syndicats ont présentée comme très difficile ?
Comment se passe le dialogue social dans l’usine ?
Enfin, comment voyez-vous l’avenir d’Amiens-Sud, sachant que d’autres syndicats jugent sa pérennité menacée ?
Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Philippe Théveniaud et M. Thierry Récoupé prêtent serment.)
M. Philippe Théveniaud, président de la section CFTC de Picardie, délégué CFTC de l’usine Dunlop d’Amiens-Sud. 
Je suis salarié de l’usine Dunlop Goodyear Amiens-Sud depuis 1981, représentant du personnel depuis 1983 et délégué syndical CFTC depuis 1989.
Beaucoup de choses ont été dites sur la CFTC. C’est pourquoi je tiens à être très clair aujourd’hui : la CFTC n’est pas l’avocat du système des 4x8. En 2007, elle a fait des propositions sur d’autres aménagements du temps de travail, plus adaptés à la vie familiale, associative et culturelle des salariés. La direction, elle, avait la ferme volonté de mettre en place l’organisation des 4x8, appliquée dans pratiquement tous les sites basés en Europe, dont les cinq usines en Allemagne.
Dans un contexte de concurrence, souvent déloyale, les leviers à la disposition des syndicats pour préserver les emplois se résument à des accords. Il n’existe pas de recette miracle ! Notre pays dispose de très peu de marges de manœuvres pour assurer la compétitivité de son industrie. On nous promet une Europe sociale harmonisée depuis plus de vingt ans, mais nous continuons de subir la concurrence des usines à bas coûts salariaux de l’Europe de l’Est.
Lorsque l’accord des 4x8 nous a été soumis, il était synonyme pour nous de pragmatisme car lié aux investissements. Nous savions que dire « non », refuser de mettre les mains dans le cambouis, signifiait la mise à mort des usines. Celles situées en Allemagne fonctionnaient déjà avec cet aménagement depuis plus de vingt ans. Nous n’avions pas d’autre choix à l’époque.
En 1994, les syndicats anglais et allemands de l’entreprise que j’avais réunis nous avaient indiqué que si nous refusions le travail en continu en France, eux l’appliqueraient et obtiendraient la production. Même entre syndicats européens, il était déjà impossible de faire progresser cette Europe sociale espérée depuis des décennies !
Ainsi, à la concurrence entre sites du même groupe à laquelle nous sommes confrontés, vient s’ajouter celle des autres groupes, comme Bridgestone à Béthune qui négocie actuellement un accord de compétitivité basé sur les 4x8. En définitive, ne pas négocier pour un syndicat, c’est mettre en péril les emplois.
Deux choix se présentaient donc à la CFTC : refuser tout changement ou négocier l’accord. J’y insiste : nous avions conscience – depuis le début – que ne rien négocier signifiait, dans un contexte de mondialisation, la mort assurée des deux sites.
Notre syndicat a choisi le pragmatisme, le réalisme. Il a préféré négocier afin de trouver un accord de compétitivité, un accord gagnant-gagnant pour sauver les 2 000 emplois des deux sites et donner à ces derniers une chance de devenir pérennes.
Contrairement à d’autres syndicats, la CFTC a estimé – et cela a toujours été son point de vue depuis le départ – que le chômage serait beaucoup plus destructeur pour les salariés et leur famille que la nouvelle organisation des 4x8. Mais ce fut très difficile à expliquer aux salariés, car ce nouveau système dégrade la vie familiale et sociale. Il n’y avait cependant pas d’alternative : c’était l’accord ou la fermeture.
Lors de la signature de l’accord, la CFTC était minoritaire. Après la signature, les salariés de Dunlop ont compris que nous nous étions efforcés de sauver l’usine, et notre syndicat est devenu majoritaire. La CGT ne pèse plus aujourd’hui que 3 % chez Dunlop, après avoir été ultra-majoritaire.
M. Thierry Récoupé, secrétaire du comité d’entreprise de l’usine Dunlop d’Amiens-Sud, délégué CFTC. 
La CFTC est très bien placée pour parler de ce dossier, car elle a été signataire de l’accord des 4x8 et qu’elle est aujourd’hui majoritaire sur le site d’Amiens-Sud.
Sur cette affaire, on entend tout et n’importe quoi. C’est pourquoi je suis très heureux d’être devant vous aujourd’hui pour vous parler de l’établissement d’Amiens-Sud où l’accord des 4x8 est appliqué depuis bientôt cinq ans.
En 1983, Dunlop France a déposé le bilan et, à la suite de son rachat par Sumitomo en 1984, un groupe japonais, 220 emplois ont été supprimés. Un dialogue social de bonne qualité a pu être instauré avec la direction japonaise, ainsi qu’une modernisation à travers de nombreux investissements sur le site.
À l’inverse, le climat social s’est dégradé à l’usine d’Amiens-Nord, avec des grèves à répétition, et très peu d’investissements y ont été réalisés.
En 1994-1995, le groupe a souhaité mettre en place à Amiens-Sud le travail en continu – les 3x8 avec des équipes de suppléance. La CFTC a pris ses responsabilités en signant pour cette organisation du travail. Le syndicat majoritaire de l’établissement, la CGT, n’a pas fait valoir son droit d’opposition, bien au contraire : il a demandé, un an plus tard, le rajout de la cinquième équipe aux équipes de suppléances. C’est bien la preuve que la CFTC avait pris la bonne décision.
À l’usine d’Amiens-Nord, après trois semaines de grève très dure contre le travail en continu, le syndicat majoritaire a fini par prendre ses responsabilités en signant pour les équipes de suppléance.
Grâce à cet accord, 280 embauches ont été réalisées à Amiens-Sud entre 1994 et 1996. Il s’agissait donc d’un très bon accord.
En 2003, Dunlop France a été racheté par Goodyear.
En avril 2007, Olivier Rousseau nous a annoncé le souhait du groupe de créer un complexe industriel moderne et compétitif dans les plus brefs délais. Ce projet comportait des contreparties, notamment financières, sur lesquelles je reviendrai.
Malheureusement, la direction a commis l’erreur de soumettre aux salariés son projet 4x8 sans ouvrir de négociations sur les contreparties financières pour les salariés ! Si bien que, sur les deux sites, 66 % des salariés ont rejeté le projet. Fin 2007, une ultime réunion s’est tenue, en vain.
La CFTC a alors pris ses responsabilités en demandant l’engagement de négociations sur le site d’Amiens-Sud, puis elle a été rejointe dans sa position par les autres syndicats : la CGT, syndicat majoritaire, FO et la CGC. Les semaines suivantes, des réunions ont pu être organisées sur le site.
À Amiens-Nord, la CGT, majoritaire, a refusé les négociations sur les 4x8. À partir de ce moment-là, la CFTC, pensant que le complexe industriel ne verrait jamais le jour, s’est attachée à défendre les intérêts d’Amiens-Sud afin de sauver ses 1 100 emplois.
Le 17 mars 2008, notre organisation a signé pour Amiens-Sud l’accord 4x8, assorti de contreparties financières significatives : une prime de 3 500 euros bruts pour les salariés en 3x8 passant aux 4x8, une prime de 5 500 euros pour les salariés des équipes de suppléance passant aux 4x8, ainsi qu’une augmentation de salaire de 220 euros par mois. Il s’agissait là d’une grande avancée en matière de pouvoir d’achat des salariés – environ 20 % de salaire net. L’accord comportait également l’engagement du groupe d’investir 25,7 millions d’euros sur cinq ans. À ce jour, mesdames, messieurs, le groupe a injecté 44 millions sur le site !
Aujourd’hui, le site d’Amiens-Sud est méconnaissable par rapport à ce qu’il était il y a cinq ans, en particulier grâce à nos outils ultramodernes. Certes, l’usine rencontre encore des difficultés pour répondre à la demande du marché, c’est-à-dire produire des pneus BA, à haute valeur ajoutée. Il reste que désormais Amiens-Sud fabrique ces pneus labellisés haute performance.
En définitive, nous sommes fiers d’avoir signé l’accord des 4x8. Malgré le chemin qui nous reste à parcourir, nous avons réussi à mettre en place un bon dialogue social au sein de l’établissement.
En avril 2009, le groupe a souhaité placer Amiens-Sud en location-gérance, c’est-à-dire transformer le site en filiale, en vue de le sortir du périmètre des licenciements. Le changement de direction, avec un directeur allemand, a malheureusement abouti à la destruction du dialogue social pendant deux ans. Nous avons condamné cette situation et demandé le changement de cette direction interne, et le groupe nous a entendus. Dorénavant, le nouveau directeur, M. Josy Blum, en place depuis un an et demi, est très à l’écoute et le dialogue social est devenu extrêmement positif.
À présent, je n’ai pas peur de le dire : le jusqu’au-boutisme ne peut plus être un objectif. Notre syndicat s’inscrit dans une démarche de négociation : il souhaite s’installer autour de la table, analyser les dossiers et exposer les problèmes au personnel. Voilà comment nous avançons avec la direction. Nous ne pouvons pas nous permettre de « jouer » avec 1 000 salariés. Si, au départ, personne ne voulait des 4x8, y compris la CFTC, ce choix s’est imposé à nous. Étant donné la conjoncture économique actuelle et les avancées réalisées au sein de l’établissement, je pense que nous avons fait le bon choix. Pour autant, j’ignore si cette nouvelle organisation perdurera…
Dans le cadre de cette commission d’enquête, on a évoqué la fermeture de l’usine, en même temps ou après celle d’Amiens-Nord : je condamne fermement ces propos. Comment une personne n’ayant pas mis les pieds à Amiens-Sud depuis quatre ans peut-elle dire cela ? Les 1 173 salariés d’Amiens-Nord vivent un enfer depuis plusieurs années mais il ne faut pas jouer sur l’inquiétude des 950 salariés d’Amiens-Sud ! Notre présence parmi vous aujourd’hui est très importante, pour nous et pour les salariés, car elle nous permet enfin de nous exprimer.
En tant qu’organisation syndicale, nous ferons tout pour améliorer le dialogue social et l’avenir du site. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir, avec l’ensemble des salariés, pour résoudre les problèmes et éviter un drame humain – la perte de leur emploi pour 1 000 salariés sans parler des prestataires !
Pourquoi l’usine d’Amiens-Nord en est-elle arrivée là ? Chacun a son idée – y compris les premiers acteurs de ce dossier – et doit avoir la franchise de la dire. Si notre organisation avait été majoritaire dans cette usine, les choses ne se seraient pas passées ainsi. Des choix ont été faits, que nous avons condamnés. Certes, cette usine n’a pas bénéficié d’investissements, mais ils étaient liés à la signature des 4x8. Notre organisation a pris ses responsabilités en signant l’accord, ce qui a permis à l’usine d’Amiens-Sud de bénéficier des investissements. Pour autant, l’organisation du travail doit être améliorée, et nous y travaillerons de tout notre cœur pour donner un avenir à l’usine. J’y crois sincèrement.
Je l’ai dit : des choix ont été faits à Amiens-Nord. D’abord, sur l’accord des 4x8 – on connaît l’issue de ce dossier. Puis sur le plan de départs volontaires (PDV). Pourquoi un groupe comme Titan en est-il arrivé à retirer son offre, alors que le PDV prévoyait la sauvegarde de 500 emplois et d’importantes enveloppes financières ? Pourquoi aucune consultation n’a-t-elle été organisée auprès des salariés sur ce plan ?
Depuis cinq ans, je vis avec le dossier 4x8 – mes nuits sont parfois très courtes. Il n’est pas simple pour nous de côtoyer nos collègues d’Amiens-Nord.
J’ajoute qu’en avril 2008, des salariés ont créé à Amiens-Nord une section CFTC, laquelle a demandé un référendum sur les 4x8. Le quorum a été respecté et le « oui » l’a emporté. Notre organisation a alors signé l’accord, mais il a été frappé d’opposition dans les quarante-huit heures par le syndicat majoritaire, la CGT. Dans ces conditions, qu’était-il possible de faire ? J’ai moi-même été victime de menaces, mais je vous avoue que les choses n’ont pas été faciles non plus pour nos deux délégués syndicaux sur le site…
À présent, Amiens-Nord et Amiens-Sud ne sont plus du tout dans la même configuration, ce que je regrette profondément. Ce qui aurait pu être le plus gros site industriel présent dans la région est dorénavant un projet derrière nous.
Je précise que le dossier que nous vous avons remis en début de séance reprend la chronologie des événements et comporte les tracts que nous avons diffusés à l’époque.
Mme Pascale Boistard rapporteure. Votre présentation nous laisse penser qu’il y a eu une forme de chantage aux 4x8, autrement dit que, faute de signature de l’accord, aucun investissement ne serait réalisé ni aucune garantie accordée sur le nombre d’emplois. Qu’en est-il ?
M. Thierry Récoupé. Si le dialogue social était difficile à l’époque, il est aujourd’hui bien établi grâce à la présence d’un seul syndicat majoritaire. Olivier Rousseau nous a très clairement indiqué que si le projet industriel, avec 350 jours de travail par an et une rotation en 4x8, n’était pas accepté, il n’y aurait pas d’investissement. Il s’agissait donc bien d’une forme de chantage.
M. Philippe Théveniaud. Entre 1984 et 2004, le dialogue social à Amiens-Sud a été de bonne qualité, puis il s’est dégradé après le rachat de Dunlop par Goodyear.
Par contre, à Amiens-Nord, il est détestable depuis le début des années 90. Pour moi, la direction de Goodyear est responsable de cette situation en raison de son mauvais management, en particulier pour ne pas avoir respecté à plusieurs reprises la législation du travail. On connaît le résultat : des salariés qui se radicalisent, un syndicat qui dit « non » à tout, et la casse de l’usine ! En 2007, les négociations ont été très mal menées : comment peut-on faire voter des salariés sur un système qui va dégrader leur vie professionnelle et familiale sans les informer des contreparties ? La CFTC elle-même avait refusé de donner un « chèque en blanc » à la direction. J’accuse la direction de Goodyear d’avoir été championne de l’incompétence ! C’est elle qui a créé la lutte des classes !
S’agissant des 4x8, on peut effectivement parler de chantage. Néanmoins, comme je l’ai dit en introduction, nos amis syndicalistes allemands ne nous ont pas encouragés pour le projet de complexe industriel dans la mesure où ils souhaitaient eux-mêmes obtenir la production dans leurs cinq usines.
Mme la rapporteure. En 2008, un nouveau référendum sur les 4x8 est organisé. Dans la mesure où des salariés concernés par les 4x8 aussi bien que des salariés non concernés par cette organisation ont été amenés à s’exprimer, le résultat favorable constitue-t-il à vos yeux une approbation massive ?
M. Thierry Récoupé. La direction a demandé un référendum sur les 4x8, puis que le dépouillement soit assuré à la DIRECCTE du fait de l’appel au boycott du syndicat majoritaire CGT et de SUD. Nous avions indiqué par voie de tracts aux salariés d’Amiens-Nord que nous respecterions leur choix si le quorum était atteint. Sur 1 455 inscrits, le nombre de votants a été de 788 et le nombre de suffrages exprimés de 747. Le « oui » l’a emporté à 72,82 %. Nous nous étions engagés auprès des salariés : nous avons signé l’accord.
Mme la rapporteure. Considérez-vous normal de prendre en compte le vote des salariés non concernés par les 4x8 ?
M. Thierry Récoupé. Notre communiqué de l’époque est parfaitement clair : il présente les résultats en toute transparence pour les personnes concernées par les 4x8 et pour celles qui ne l’étaient pas. Malgré la présence des deux syndicats forts au sein de l’établissement, CGT et SUD, plus de 50 % des salariés se sont exprimés. Je le répète : nous avons respecté le choix des salariés.
Mme la rapporteure. Après avoir été invalidée en 2010, l’organisation des 4x8 a été validée par la justice. Aviez-vous soulevé les problèmes en 2008 ?
M. Thierry Récoupé. Le dossier qui vous a été remis comprend les pièces afférentes.
M. Philippe Théveniaud. En 2008, nous avons indiqué à la direction que l’accord ne respectait pas certains points de la convention collective du caoutchouc. Le DRH de l’époque nous a alors indiqué que, à défaut de signature, les deux usines seraient fermées. Le jugement a bien indiqué que la convention collective n’était pas respectée au regard du travail en continu. Nous avons demandé à la direction de revoir sa copie, et l’accord a été renégocié. Je rappelle qu’à l’époque, la CFTC n’était pas majoritaire à Dunlop – c’était la CGT, qui a signé l’accord avec nous.
Mme la rapporteure. En 2008, les 4x8 ont donc été mis en place à Amiens-Sud. Avec le recul, ce dispositif vous paraît-il garantir la pérennité de l’entreprise ? Quel était le niveau de production avant les 4x8 et quel est-il aujourd’hui ?
M. Thierry Récoupé. Contrairement ce que l’on a pu entendre, l’accord n’a pas une durée de cinq ans : il est à durée indéterminée, mais les parties signataires ont le droit de le dénoncer à partir de la cinquième année.
Cet accord comporte trois volets. Un volet industriel, relatif aux investissements, pour l’instant plus que respecté. Un volet emploi, avec la garantie de l’emploi de 862 salariés permanents jusqu’à fin 2014 – mais l’accord a d’ores et déjà permis d’embaucher 60 personnes supplémentaires, ce qui porte l’effectif à 920. Enfin, un volet volume de pneus, auquel nous avons ajouté depuis 2008 trois avenants afin d’adapter la production à la conjoncture économique, c’est-à-dire à la demande des clients et à la régression des ventes. Nous sommes ainsi passés d’une production de 17 000 pneus par jour en 2008 à 11 000 aujourd’hui qui partent directement chez le client. L’usine d’Amiens-Sud travaille en flux tendus : aucun pneu n’est stocké – alors que la moitié l’était en 2008.
J’ajoute que les pneus que nous vendons n’ont rien à voir avec ceux de 2008, car nos clients actuels nous demandent des pneus à haute valeur ajoutée. Grâce à notre service développement qui met au point des prototypes, vingt dimensions BA ont été développées et sont fabriquées au sein de l’établissement. En 2014, nous fabriquerons 1,8 millions de pneus de ce type. La question n’est plus celle de la quantité : c’est celle de la qualité et du prix de revient. Les investissements étaient conditionnés aux 4x8 : depuis quatre ans, l’usine d’Amiens-Sud se développe en produisant ces pneus pour véhicule de tourisme de grande valeur ajoutée qui lui permettront de dégager des bénéfices.
Le groupe a investi pour produire les pneus qui lui étaient demandés. Nous les fabriquons actuellement et, je l’espère, pour longtemps. Alors que l’usine Dunlop n’avait jamais fait de bénéfice, nous sommes parvenus à réaliser 1,1 million de bénéfice en 2011, et 2,6 millions en 2012. Les prévisions pour 2013 sont de l’ordre 4 millions. En 2012, la moyenne reçue par les 950 salariés au titre de la participation aux bénéfices a dépassé 400 euros, soit un niveau jamais atteint par le passé.
M. Thierry Récoupé. Pour utiliser une image, on peut comparer notre production d’avant 2007 à une 2 CV, et celle d’aujourd’hui à une Mercedes. Nous fabriquons des pneus à haute performance et labellisés. Cette qualité, que l’on doit au savoir-faire de l’usine d’Amiens-Sud, place la France avant l’Allemagne pour certaines homologations. Évitons donc de comparer ce qui n’est pas comparable, comme cela a été fait au cours d’auditions précédentes.
Mme la rapporteure. Avez-vous constaté la délocalisation d’une partie de la production ?
M. Thierry Récoupé. Au contraire !
M. Philippe Théveniaud. Les 4x8 ont été instaurés avant la crise de 2008. Depuis cette date, la production a baissé, ce qui a amené notre usine à chômer treize jours avant l’été. Cela dit, depuis un an, les cinq usines situées en Allemagne ont été touchées plus durement que nous.
Moins on vend de véhicules, moins on vend de pneus. Les Européens, qui voient leur pouvoir d’achat se réduire, du fait des politiques d’austérité menées par les gouvernements, roulent moins et achètent moins de voitures. Même si nous subissons la crise de plein fouet, les investissements continuent, ce qui nous permettra, en cas de reprise, de répondre à la demande en fabriquant des pneus à haute valeur ajoutée.
Mme la rapporteure. En termes de conditions de travail ou de vie sociale, quelles ont été les conséquences pour les salariés du passage aux 4x8, auquel, initialement, vous n’étiez pas favorables ? Avez-vous constaté, comme à l’usine d’Amiens-Nord, une évolution en matière de sécurité ? La gravité et la fréquence des accidents de travail ont-elles augmenté ? Les arrêts de travail sont-ils plus nombreux ? Le syndicat a-t-il usé de son droit d’alerte ?
M. Thierry Récoupé. Les 4x8 imposent des rotations très contraignantes. Alors que nous travaillions 31,6 heures par semaine, pour 33,6 dues au titre de la convention collective, nous effectuons aujourd’hui 35 heures en moyenne. Pour compenser le passage de 33,6 à 35 heures, un complément de salaire a été consenti lors du deuxième accord, conformément aux conditions légales.
La pire année a été 2009, non seulement à cause de la transition qu’a représentée le passage des 3x8 aux 4x8, mais aussi parce que le calendrier n’avait pas été réfléchi. Par la suite, le dialogue social a été rétabli au sein de l’établissement. De ce fait, depuis 2010, le calendrier est amélioré chaque année de manière significative. La conjoncture économique y a aidé, puisque la baisse de la production a permis de supprimer des dimanches de travail. L’organisation actuelle n’a plus rien à voir avec celle de 2009. Les salariés disposent d’une certaine flexibilité. Je leur demande chaque jour si tout va bien. De son côté, la direction interne fait son travail. Nous sommes à l’écoute des demandes pour l’an prochain, car dans le système des 4x8, la seule solution, quand on veut un samedi, est de le remplacer en fonction du système de rotation, sachant que chacun doit effectuer 214 postes de travail de huit heures dans l’année.
Mme la rapporteure. Les conséquences de ce système sur la santé, la vie sociale ou les conditions de travail des salariés sont-elles positives ?
M. Thierry Récoupé. En 2009, elles ont été dramatiques, notamment pour la vie de famille. Nous avons dû nous adapter. Il nous arrivait de faire cinq nuits consécutives, alors que nous n’en faisons plus que deux aujourd’hui, suivies de deux repos. Les salariés se sont progressivement réadaptés à la vie familiale, culturelle, associative et sportive. C’était un grand bouleversement, mais notre corps a fait face. Pour sauver nos emplois, nous avons été contraints d’accepter un système, qui s’est adapté pour devenir plus que correct. Plus personne ne se plaint des 4x8. Nous avons déjà anticipé un calendrier pour 2014, comparable à celui de 2013, ce dont les salariés sont satisfaits.
Mme la rapporteure. S’ils devaient revoter sur cet accord, ils l’accepteraient donc à une majorité plus élevée qu’en 2008 ?
M. Thierry Récoupé. Oui, d’autant que les compensations financières ont dépassé nos espérances et que l’expérience a permis d’améliorer notre calendrier. Dans l’usine d’Amiens-Sud, le taux d’absentéisme hebdomadaire est tombé à 0,8 %, ce qui est inédit. Pour les maladies à plus de 30 jours, il se situe entre 4 % et 4,5 %.
La prime d’intéressement – 360 euros nets par trimestres – est désormais liée non seulement au volume de production et au taux de rebut mais à la diminution du nombre d’accidents du travail avec arrêt, selon les critères de l’OSHA (Occupational Safety and Health Administration). En 2012, on a compté dix-huit accidents. En 2013, le nombre à ne pas dépasser est huit. Or nous en sommes à trois, trois mois avant la fin de l’année. Il s’agit là de résultats concrets. Nous ne sommes pas en mesure d’organiser demain un référendum, mais l’approbation de l’accord ne fait aucun doute.
M. Philippe Théveniaud. Vous connaissez les valeurs de la CFTC, qui défend depuis vingt ans le repos dominical. Il n’a pas été facile d’annoncer aux salariés qu’il n’y avait pas d’autre possibilité que d’accepter les 4x8. Ils ont réfléchi. S’ils n’avaient pas accepté, l’usine aurait fermé. Nul n’ignore le taux de chômage dans notre département. Nous avons saisi notre chance.
Nous savons hélas que l’espérance de vie d’un salarié soumis aux 3x8, aux 4x8 ou aux 5x8 est plus courte de huit ans qu’un salarié qui travaille de jour, mais, dans le système libéral, la réalité économique s’impose aux salariés.
M. Thierry Récoupé. Le droit d’alerte n’est utile que pour obtenir certaines informations. Or le directeur, Joseph Blum, attaché à la transparence, met toutes celles que nous demandons à notre disposition. Dès lors, user du droit d’alerte ne servirait qu’à accréditer les rumeurs véhiculées par les médias, selon lesquelles l’usine pourrait fermer dans un an.
Mme la rapporteure. La durée de l’accord sur les 4x8 est indéterminée, mais, au terme des cinq premières années – donc, fin 2013 –, les signataires peuvent demander de le renégocier. Allez-vous consulter les salariés pour savoir s’ils souhaitent conserver ce régime de travail ?
M. Thierry Récoupé. Nous y réfléchissons. La CFTC étant à leur écoute, je les interroge chaque jour à ce sujet. La période de cinq ans dont vous parlez s’achèvera non fin 2013 mais fin 2014. Si, à cette date, les parties dénoncent l’accord, le nouveau calendrier ne pourra intervenir, compte tenu du temps nécessaire pour l’établir, que fin 2015, voire début 2016. Où en sera le marché automobile ? Les investissements effectués au sein de l’entreprise auront-ils porté leurs fruits ? Nous travaillons pour que ce soit le cas, d’autant que leur montant dépasse de 19 millions la somme initialement prévue.
M. Philippe Théveniaud. L’an dernier, quand le volume de la production a baissé, nous avons demandé à passer aux 5x8, système plus confortable pour les salariés. La demande n’a pu être satisfaite. Elle supposait de réorganiser tout le travail, au risque de devoir faire marche arrière par la suite, si la demande augmentait. On risquait en outre une baisse de productivité, alors que nous sommes en concurrence avec d’autres sites européens.
Je veux souligner une autre innovation. Pour la première fois chez Dunlop, des femmes ont été recrutées, ce qui va dans le sens de l’égalité. En tant que président de la caisse d’allocations familiales de la Somme (CAF), je sais qu’il existe des fonds disponibles. À Amiens, l’équipe municipale s’était engagée à aider les salariés qui effectuent des horaires atypiques. Elle n’a pas tenu ses promesses, alors qu’on favoriserait l’attractivité du territoire en créant des crèches interentreprises adaptées à notre rythme de travail. Je regrette que les fonds publics aient servi non à accompagner les efforts des salariés pour conserver leur emploi, mais à aider ceux qui allaient manifester.
Mme la rapporteure. J’en viens à une question que je pose à tous ceux que nous auditionnons : quel poste occupez-vous dans l’entreprise ? Quels sont vos horaires et vos contraintes ? Le passage aux 4x8 a-t-il modifié votre vie ?
M. Philippe Théveniaud. En tant que responsable syndical et président du conseil d’administration de la CAF, je suis détaché de mon usine depuis douze ans. Le salaire que me verse Dunlop est calculé sur le taux horaire le plus bas de l’usine, alors que j’ai trente-deux ans d’ancienneté. Je tiens mes fiches de salaires à votre disposition. Dunlop se fait rembourser mon salaire par la CAF, le fonds de gestion des congés individuels de formation (FONGECIF) ou Pôle emploi, au titre du paritarisme qui constitue une exception sociale française. Sur les dix-huit mandats exercés par des membres de la CFTC, 80 % travaillent aux 4x8.
M. Thierry Récoupé. Au sein de l’établissement, je suis agent de maîtrise. Si, en tant que secrétaire du comité d’entreprise (CE), je n’effectue pas les 4x8, je suis suffisamment souvent dans l’atelier, au contact de ceux qui travaillent à ce rythme, pour pouvoir en parler. Notre syndicat était minoritaire quand les accords ont été signés. Le fait qu’il soit devenu majoritaire nous conforte dans notre analyse.
Le secrétaire du CE devant effectuer des choix importants, les salariés doivent le voir chaque jour dans l’usine. C’est pourquoi je ne compte pas mon temps de présence. Il m’arrive de travailler soixante heures par semaine. Mes nuits sont parfois plus courtes que celles de salariés qui font les 4x8, et dont je suis solidaire.
J’ai trois enfants, mais si l’on me demandait demain de choisir entre les 4x8 ou Pôle emploi, je n’hésiterai pas. Je m’adapterai à ce régime comme l’ont fait 750 salariés de l’établissement.
Mme la rapporteure. Vous laissez entendre que refuser les 4x8 risquerait de vous faire perdre votre emploi ou pourrait entraîner à terme la fermeture de l’usine ?
M. Thierry Récoupé. Oui. Amiens-Sud ne produit que des pneus pour les véhicules de tourisme, ce qui n’est pas le cas d’Amiens-Nord ou de Montluçon. Notre usine aurait fermé il y a longtemps si nous n’avions pas signé l’accord pour passer aux 4x8.
M. Philippe Théveniaud. Quand nous l’avons signé, tous les élus de la CFTC ont voté à bulletin secret dans mon bureau. Étant détaché de l’entreprise, j’ai refusé de prendre part au vote.
M. le président Alain Gest. Nous savons comment fonctionnent les délégations syndicales. Il est rare qu’on puisse exercer une importante responsabilité dans ce domaine en continuant à travailler dans l’entreprise.
M. Jean-Louis Bricout. Avant d’accepter l’accord, connaissiez-vous le montant de la réévaluation du salaire compensant l’augmentation du temps de travail hebdomadaire et de la prime dédommageant le passage aux 4x8, ou vous en êtes-vous remis à la direction ?
M. Philippe Théveniaud. Lors de la première consultation à Amiens-Nord et Amiens-Sud, comme les contreparties financières n’étaient pas connues, la CFTC n’a pas appelé à voter oui, estimant qu’elle ne pouvait pas faire un chèque en blanc à la direction. Souhaitant tout faire pour sauver l’emploi, nous avons demandé à celle-ci de se rasseoir à la table de négociation. C’est à ce moment-là que nous avons renégocié les contreparties financières, augmentation mensuelle et prime.
M. le président Alain Gest. Les salariés ont donc voté l’accord en pleine connaissance de cause ?
M. Philippe Théveniaud. Oui.
M. Jean-Louis Bricout. Les conditions de l’accord vous semblaient-elles satisfaisantes ? Qu’en pensent les salariés aujourd’hui ? Quelles sont leurs revendications ?
M. Thierry Récoupé. Il n’a pas été facile d’accepter le passage aux 4x8. Aussitôt l’accord conclu pour Rueil-Malmaison, nous avons réclamé l’ouverture de négociations pour pérenniser le site d’Amiens-Sud. Il a fallu de nombreuses réunions pour aboutir. Chaque fois qu’une proposition était avancée, les salariés étaient consultés. Le syndicat majoritaire était la CGT. À l’ultime réunion, le point de non-retour a failli être atteint. La CGT a radié les deux délégués de l’établissement, qui avaient signé l’accord. Ceux-ci ont alors pris l’étiquette de l’UNSA. Pour respecter la procédure juridique, il fallait revoter pour qu’ils retrouvent leur statut de délégués. Ils ont été élus à plus de 85 %.
Nous travaillons chaque jour pour que les contreparties du passage aux 4x8 restent satisfaisantes. Je l’ai dit, le montant de la prime d’intéressement trimestriel, qui permet au groupe d’atteindre ses objectifs en matière d’accidents du travail et de production, peut s’élever jusqu’à 360 euros. Nous ne sommes jamais descendus en dessous de l’objectif, et le montant mensuel moyen, qui varie entre 80 et 120 euros par salarié, est un record historique. En 2013, le taux de rebut mensuel, carcasses et déchets confondus, qui, en 2012, était de l’ordre de 1,8 million d’euros – soit plus de 20 millions pour douze mois – est tombé entre 600 000 et 700 000 euros, ce qui représente un gain annuel de 12 millions pour le groupe. Nous sommes sur de bons rails. Partenaires sociaux, salariés et direction interne partagent la volonté d’atteindre des objectifs et de pérenniser le site.
M. Jean-Louis Bricout. Les accords comprenaient trois volets : investissement, emploi et production. Sur ce dernier point, disposez-vous d’éléments de comparaison avec d’autres sites ?
M. Thierry Récoupé. Compte tenu de nos effectifs, nous devons augmenter le volume de production, dans la limite de la demande des clients, pour la BA haute performance. Nous sommes à 10 000, voire 10 500 pneus par jour. Lors du CE du mois dernier, le groupe a déclaré que nous passerions à 12 000 en 2014, avant de monter encore en puissance. Les deux outils industriels qui assurent la bande de roulement, installés cet été durant l’arrêt de l’usine, tourneront à plein régime courant 2014. En d’autres termes, il existe encore de la marge.
M. Jean-Claude Buisine. Je suis surpris par la différence entre l’usine d’Amiens-Nord et celle d’Amiens-Sud, qui ne dépend plus de Goodyear France mais appartient à un groupe européen basé au Luxembourg. La stratégie de Goodyear était-elle de mettre fin à l’activité d’une usine pour favoriser l’autre ? Compte tenu du volume d’investissement – plus de 60 millions d’euros depuis 2007 –, pourquoi ne pas avoir maintenu les deux unités, ce qui aurait préservé les emplois ? Comment expliquer la dégradation du travail à Amiens-Nord ? Enfin, je m’étonne que vous présentiez sous un jour plutôt favorable des conditions d’hygiène et de travail qu’on nous a décrites comme déplorables.
M. Thierry Récoupé. Je n’ai pas caché que notre régime de travail était dur. Je ne souhaite à personne d’être soumis aux contraintes que nous avons connues en 2009. Depuis lors, elles ont été améliorées et sont devenues plus que convenables.
Sur la différence entre les deux usines, vous pourrez interroger la direction. Nous sommes fiers d’avoir pris nos responsabilités, mais mon rôle n’est pas d’accuser qui que ce soit. Chacun a son idée sur ce qui s’est passé. Des engagements ont été pris de part et d’autre. Nous tenons les nôtres et avons obtenu ce que nous souhaitions, en termes d’investissement et de dialogue social. Celui-ci est rompu ailleurs. Posez-vous les bonnes questions à ce sujet.
Il faut cesser de répéter que notre usine va fermer, alors que nous nous sommes donné toutes les chances de réussir. Notre syndicat, qui est désormais majoritaire, s’est comporté de manière responsable. Il y a suffisamment de gens qui pointent à Pôle emploi pour que chacun essaie de conserver son travail.
M. Philippe Théveniaud. Quand on est au service d’une multinationale, on connaît sa logique économique et financière. Nous savions que l’usine fermerait si nous refusions l’accord, alors qu’en le signant, nous lui laissions des chances de se maintenir. La CFTC se veut pragmatique. Même si nos chances n’étaient que de 5 %, il fallait relever le défi. Depuis lors, une étude réalisée par la CFTC sur le marché du pneu européen a levé nos doutes.
Je travaille depuis 1982. Pour avoir effectué trente ans de mandat, je connais bien les caractéristiques de notre secteur : surcapacité, obligation de rentabilité, course à la concurrence. Vu la situation internationale, il était indispensable que Goodyear-Dunlop possède, en France, terre de Michelin, un complexe industriel performant. Notre usine est bien située. Elle est proche notamment de l’usine Toyota de Valenciennes, qui est notre client – n’oubliez pas que transporter des pneus coûte cher. Par ailleurs, notre direction a tenu ses engagements en termes d’investissement. Il n’y a donc pas lieu de perdre confiance.
Pour Amiens-Nord, la direction de Goodyear a sa part de responsabilité. Le management était mauvais. Durant les années 90, la législation du travail n’a pas été respectée, ce qui a amené le syndicat à se radicaliser et à attiser une lutte des classes, ce qui ne correspond pas à notre position. À présent, la messe est dite. La France actuelle, ouverte au libre-échange et à la libre concurrence, n’est plus celle des années 60, qui vivait refermée sur ses frontières.
M. le président Alain Gest. Il est toujours difficile d’évoquer les violences qu’induit le blocage du dialogue social. Des menaces de mort ont été prononcées contre Mme Charrier, secrétaire (CFE-CGC) du comité central d’entreprise, ou contre M. Mota da Silva, représentant de SUD, et contre vous-mêmes, si j’en crois le document que vous nous avez remis. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
M. Philippe Théveniaud. La CFTC a fait le maximum pour sauver l’usine, avec l’aide de deux personnes courageuses. Je vous ai transmis une lettre que j’ai adressée au préfet pour lui signaler les menaces de morts proférées à Amiens-Nord, ainsi que le saccage de voitures et de locaux. J’ai rappelé à la direction qu’elle devait assurer la sécurité des salariés dans l’entreprise. Plusieurs plaintes ont été déposées sans suite. Le préfet de l’époque a constaté lui-même que la justice n’avait pas fait son travail.
À Amiens-Nord, nous avons jeté l’éponge en nous retirant. En tant que responsable syndical, je ne peux pas jouer avec la vie des salariés. Un militant a été victime d’un accident du travail, après avoir subi harcèlement, insultes et menaces de mort. Alain Dupuis, qui, alors qu’il n’exerçait plus de mandat, a témoigné sur France-bleue Picardie, s’est fait agresser le lendemain à l’usine. Il a subi un nouvel accident du travail, consécutif au harcèlement. La démocratie va de pair avec la pluralité des organisations syndicales. Encore faut-il qu’elles se respectent. J’ai toujours condamné la violence.
Entre autres difficultés, il nous a été impossible de faire connaître nos idées par voie d’affiche : les nôtres étaient immédiatement saccagées ou arrachées. Nos militants ne pouvaient pas diffuser de tract sans recevoir des menaces de mort. Dans ces conditions, comment parler de liberté d’expression ou de débat d’idées ?
M. Thierry Récoupé. On peut avoir des divergences sur différents sujets, mais le respect est nécessaire. Verbalement, l’ambiance est très tendue et, dans l’enceinte de l’établissement, certains n’osent pas dire ce qu’ils pensent, ce qui est grave. Il est difficile de parler à la direction au nom des salariés s’ils ne se respectent pas entre eux.
M. le président Alain Gest. Les 44 millions investis à Amiens-Sud, dont M. Wamen a relativisé l’importance en les comparant aux sommes investies en Pologne, vous paraissent-ils suffisants pour réaliser la modernisation annoncée ? Quels sont les montants investis dans les autres usines européennes ?
M. Thierry Récoupé. Depuis que notre usine a été placée en location-gérance, et que nous n’allons plus à Rueil-Malmaison, il est difficile d’obtenir des informations sur l’usine polonaise de Dębica. L’investissement de 44 millions semble correspondre aux besoins du groupe. Initialement, la somme prévue était de 25,7 millions. Il en aurait fallu 52 pour créer le complexe unique d’Amiens, mais – qui sait ? – Le groupe en aurait peut-être investi davantage – par exemple 100 millions.
Quand la direction a vu qu’il fallait un outil supplémentaire pour produire les pneus BA demandés par les clients, elle a investi davantage. Demain, si Renault ou Toyota attendent une nouvelle technologie, il faudra bien qu’elle mette la main au porte-monnaie. Les 44 millions investis ont permis de répondre à la demande. Ils ont fait considérablement évoluer le site d’Amiens-Sud en quatre ans. Notre première priorité est de gagner des parts de marché, ce qui permettra au groupe d’envisager de nouveaux investissements.
M. Philippe Théveniaud. Entre 1984 et 2004, Sumitomo avait déjà investi, à la différence de Goodyear, ce qui explique que, lors de la vente, Amiens-Sud ait bénéficié d’une technologie plus élevée qu’Amiens-Nord.
M. le président Alain Gest. Le système des 4x8 est généralisé en Allemagne. En France, s’applique-t-il à toutes les usines de Goodyear ?
M. Thierry Récoupé. Montluçon, Amiens-Nord et Amiens-Sud tournaient en 3x8 SD (samedi et dimanche), alors que Riom suivait un autre régime. Les 4x8 devaient s’appliquer au complexe industriel unique et, à terme, à Montluçon. Dans les faits, le complexe n’a pas été réalisé, Amiens-Sud est passé aux 4x8 et, compte tenu de la conjoncture, le projet n’est plus d’actualité pour Montluçon.
M. Philippe Théveniaud. À Montluçon, la production de pneus de véhicules de tourisme est très marginale, l’essentiel étant constitué de pneus de camionnettes et de motos. À l’usine de Riom, spécialisée dans le rechapage, il n’y a aucune raison d’appliquer les 4x8.
M. Thierry Récoupé. L’usine Friskies, qui dépend de Nestlé, abrite trois rotations différentes, qui correspondent au fonctionnement de l’atelier. Amiens-Sud ne fabriquant que des pneus de tourisme, le système des 4x8 s’imposait, alors qu’il n’aurait pas été adapté partout.
M. le président Alain Gest. Quel est le salaire moyen mensuel depuis le passage aux 4x8 ?
M. Thierry Récoupé. Dans la production, il se situe aux alentours de 2 000 euros. Si l’on intègre le treizième, voire le quatorzième mois que constituent la prime d’intéressement et la participation aux bénéfices, les salariés déclarent 27 000 à 35 000 euros par an.
M. le président Alain Gest. Avez-vous analysé le contre-projet auquel M. Mota a fait allusion ? Que pensez-vous du projet de reprise en SCOP, déposé par la CGT ?
M. Thierry Récoupé. Comme vous, nous sommes à l’écoute, et nous essayons d’analyser les projets. Cela dit, les salariés n’ont été consultés ni sur le projet de SCOP ni sur une éventuelle reprise par Titan. Les réunions n’ont jamais atteint le quorum : elles ne rassemblaient pas plus de 100 à 200 employés sur 1 173, ce qui est très insuffisant pour prendre de telles décisions.
À l’origine, le groupe du complexe amiénois (GCA), réunissant toutes les organisations syndicales d’Amiens-Sud et Amiens-Nord, était chargé de recueillir les diverses propositions d’aménagement de temps de travail permettant d’ouvrir 350 jours dans l’année. Aucune des onze propositions que M. Mota da Silva dit avoir déposées n’a été retenue. Pourquoi le groupe, qui a refusé les premières, en examinerait-il d’autres, alors même que la situation a évolué ? M. Mota da Silva a-t-il seulement recueilli l’accord des salariés ? Avant d’envoyer des projets à travers la presse, un leader syndical doit s’assurer qu’ils sont viables.
M. Philippe Théveniaud. Il faut être très prudent à cet égard. Demain, si l’on revient aux 3x8, c’en sera fini de la prime de 220 euros versée en contrepartie du passage aux 4x8. Sait-on si les salariés sont prêts à y renoncer ? Certains syndicats les font rêver en omettant cet aspect du problème. Or beaucoup de salariés de Dunlop ont adapté leur niveau de vie au salaire actuel, en achetant une maison ou une voiture.
Le projet de SCOP, qui reviendrait pour Goodyear à une sous-traitance, ne me paraît pas crédible. Les moyens manqueront pour faire de la recherche, qui est nécessaire si l’on veut soutenir la concurrence. Le projet économique ne tient donc pas la route. En outre, ce mode de management est irréaliste, compte tenu de l’ambiance qui règne dans l’usine. À mon sens, la CGT a lancé cette idée pour noyer le poisson. Elle n’y croit pas, étant donné l’état du marché européen.
M. le président Alain Gest. Certains responsables syndicaux prétendent que Goodyear a décidé depuis longtemps de se débarrasser d’Amiens. La première étape consistait à ne pas investir à Amiens-Nord, ce qui a fait baisser l’activité. Amiens-Sud devait disparaître dans la foulée. Que pensez-vous de cette analyse ?
M. Thierry Récoupé. En 2007, le groupe n’ayant pas pu réaliser à Amiens un complexe ultramoderne, qui aurait été le plus grand d’Europe, il a renoncé à investir à Amiens-Nord. Nous avons défendu un autre choix.
J’ai entendu dire que la direction avait voulu punir Amiens-Nord d’avoir refusé les 4x8. Elle est allée bien au-delà, en mettant 1 173 salariés à la porte, ce que nous condamnons. Si j’avais pris une telle décision, je ne dormirais plus. Avez-vous idée de ce que vivent les salariés qui, depuis quatre ans, travaillent deux heures par jour ? Auraient-ils envie de retravailler pour le groupe, même si on le leur proposait ? Veulent-ils seulement rester sur leur site ? Je vous engage d’ailleurs à visiter les deux usines, ce qui vous permettra de mieux comprendre les choix qui ont été faits.
M. le président Alain Gest. Nous nous rendrons sur place le 10 octobre.
M. Philippe Théveniaud. Si la production a baissé à Amiens-Nord, c’est parce que les investissements ont manqué pour fabriquer les pneus à haute valeur ajoutée et de grande performance. L’usine fabrique des pneus qui ne sont plus demandés sur le marché. La situation actuelle découle des choix de 2007. À l’époque, Thierry Récoupé et moi-même étions si stressés que nous n’en dormions plus. Nous passions toutes nos journées au téléphone. Vous savez, on fait très attention quand il est question de l’avenir de centaines de salariés et de leur famille. Certains choisissent de ne pas mettre les mains dans le cambouis, mais, quand on prend des responsabilités, on les assume. Je suis fier de mon équipe CFTC Dunlop, qui a pris les siennes, et de celle de Goodyear, qui a vécu sur le terrain des jours et des nuits difficiles. Avoir le courage de dire la vérité, c’est aussi s’exposer à recevoir insultes et menaces.
M. Thierry Récoupé. Un secrétaire de CE connaît la vie des salariés. Il sait combien ils ont sur leur compte en banque. Certains sont en difficulté financière, voire interdits bancaires. Il connaît aussi leur niveau d’études et la situation de l’emploi dans la région. Compte tenu de ces éléments, ma décision a été vite prise. Restait à négocier de bons accords, c’est-à-dire à demander des contreparties, sans mentir aux salariés, parce qu’ils ont le droit de savoir toute la vérité. Ils étaient libres ensuite d’accepter ou de refuser l’accord.
M. le président Alain Gest. Depuis sa signature, des formations ont-elles été mises en place ?
M. Thierry Récoupé. Le système des 4x8 implique la multivalence, car les salariés ne restent plus à un seul poste. Ils doivent pouvoir en occuper plusieurs pour pallier l’absentéisme ou les RTT. Depuis quatre ans, la formation reçoit un budget de plus de 1 million d’euros. En tout, elle a bénéficié d’une somme de 5,3 millions, ce qui est considérable.
M. Philippe Théveniaud. Nous utilisons de nouvelles technologies, puisque nous ne travaillons plus sur les mêmes machines. Ces formations apportent une meilleure reconnaissance aux salariés.
M. le président Alain Gest. Je vous remercie, messieurs.



http://sicsti.free.fr/docs/goodyear-dunlop.htm